"J'en ai vu passer des humains et des civilisations et je suis toujours là". Regarder le monde à l'ombre d'un mégalithe, ça change toute la vision.
Par Lousine Terteryan
En Arménie, il existait des centres cultuels qui se nommaient Portakar (պորտաքար) ce qui signifie la pierre nombril. La pierre Portakar servait en tant qu’un lieu de rites de fertilité pour les Arméniens pendant des millénaires jusqu’à la soviétisation du pays. Cette pratique fut éradiquée par les autorités soviétiques avant la Seconde Guerre mondiale car elle a été jugée comme étant trop païenne.
En réalité ce qu’on nomme Portakar (Pierre-nombril) est une petite colline à la forme conique dépassant d’une pente glissante de quelques mètres carrés au sommet de la grotte.
Ces endroits ont été considérés comme le centre du monde et l’origine de l’humanité : ces croyances ont été transmises pendant des millénaires. C’est pourquoi les Portakars sont également nommées “les portails vers le monde de l’au-delà” ou “portes d’entrée”. D’où l’association de ces pierres au culte de Mihr (Mithra arménien) qui, selon la légende est né de la grotte ou de la roche et ensuite, s’est renfermé dans une grotte pour revenir lorsque le monde deviendra juste. Cette grotte se nomme Mheri dour (Մհերի դուռ) qui signifie Porte de Mher. Probablement, le mythe bien connu de la naissance de Mithra (dans la mythologie arménienne – Mihr ou Mher) à partir de la pierre a également influencé la formation des traditions sur les portakars. À cet égard, les portakars étaient également considérés comme, déjà mentionné, la porte d’entrée vers l’autre monde.
Mais la rituelle, qui est parvenu jusqu’au XXème siècle, lie les Portakars au culte de la déesse de la fertilité et de la maternité qui, en l’occurrence, fut Anahit en Arménie païenne. Cette divinité était très appréciée par les Arméniens ce qui prouvent les nombreux lieux de sa vénération à travers tout le pays historique d’Arménie. Les villes et villages dédiés à son culte comptent plus que ceux dédiés à la divinité principale masculine-Aramazd.
Cela est dû de la religion remontant à la période matriarcale. À cette époque, les grottes et les montagnes ont été considérées étant des symboles de la déesse-mère qui fut l’incarnation de la Terre.
Ces lieux ont été des endroits où les femmes se réunissaient pour réaliser certains rites de fécondité. D’ailleurs, ces traditions ont été tellement enracinées dans les habitudes des Arméniens qu’elles ont su survivre jusqu’au XXème siècle et comme, cela avait été mentionné, ont été interdites à la force.
Description du rite
La fonction principale du Portakar que nous pouvons connaitre à ce jour, nous est transmise par le biais de l’ethnographie. Selon laquelle ce lieu cultuel a été dédié à la guérison de l’infertilité chez les femmes.
L’infertilité était un grand malheur pour une femme Arménienne, ainsi que pour sa famille. Pour y remédier, plusieurs moyens médicaux ainsi que non médicaux ont été pratiqués : un de ces moyens était le pèlerinage à la Pierre nombril.
La femme, qui voulait tomber enceinte, s’allongeait sur le ventre sur la fameuse pierre en se retournant et frottant le ventre ou plutôt le nombril sur la pierre d’où le nom du site. Ensuite, elle tournait autour de la pierre avec les autres femmes qui l’accompagnaient durant cette aventure. Des bougies et des parfums (tel que l’encens) étaient allumés près de la pierre ainsi que des incantations ou prières prononcées tout au long de la cérémonie.
Il était également coutume de clouer la pierre “magique” en gage de symbole que la femme transmettait son infertilité à la pierre et rentrait guérie.
Ces pierres rituelles étaient un symbole de virilité et étaient associées à la fertilité. Si un bébé était né après ce rituel, on gravait un signe sur la Pierre-nombril ou Portakar. La force fécondatrice de la pierre pouvait être jugée par le nombre de signes laissées sur sa surface par les mères guéries.
Selon le roman intitulé « Portakar », de l’écrivain Arménien Sero Khanzadyan, les Arméniennes ont également effectué d’autres cérémonies de guérison dans cet endroit. Ce site est mentionné dans le livre de Dodie Graham McKay intitulé “Earth Magic”.
La seule et unique Portakar d’Arménie connue de nos jours
L’une des Portakars est située dans la région de Syunik, à 12 km au sud-est de la ville de Sisian, au sud de la République d’Arménie. C’est un monument historique classé. Il s’agit d’un rocher de plusieurs mètres carrés au-dessus de la grotte. Elle est considérée depuis des milliers d’années comme le centre du monde et le lieu d’origine de l’humanité. Mais en dehors de ce rituel perpétué parmi le peuple, nous ne possédons plus d’information qui puisse nous renseigner sur cet endroit et de sa signification rituelle, religieuse et historique. Ainsi il est difficile de dire si ce monument est une création naturelle ou artificielle et surtout à quelle époque il remonte. Aucune recherche ou fouille n’a été effectuée sur place à ce propos. Ainsi tout ce qui est connu, nous le devons au folklore et à l’ethnographie locale.
Un parallèle possible avec le site de Locmariaquer ?
Le site de Locmariaquer possède trois aspects d’une longue période néolithique, avec ses trois monuments d’époques distinctes, occupant trois fonctions diverses : le Grand Menhir, témoin colossal d’un autre ensemble disparu ; le tumulus d’Er Grah, abritant une chambre funéraire réservée à une élite ; et la Table des Marchands, sépulture collective à l’origine du terme “dolmen”. Si tous les monuments du site de Locmariaquer remontent à l’ère néolithique, ils n’en ont pas moins été érigés à quelques siècles d’écart. Le Grand Menhir d’abord, élevé au milieu du Vème millénaire avant notre ère, constituait l’une des stèles, sans doute la plus imposante, d’un vaste alignement aujourd’hui matérialisé par des empierrements au sol.
Ce sont notamment quelques-unes de ces pierres dressées, pour la plupart tombées au sol, que les hommes réutilisent lors de la construction, en deux temps, d’un long tumulus, au cœur de la seconde moitié du Vème millénaire avant notre ère : Er Grah.
Cette sépulture individuelle, dont l’accès fermé abritait un mobilier funéraire de tout premier ordre, accompagnait la dépouille d’un personnage certainement très puissant. La Table des Marchands, enfin, tombe collective à couloir, est édifiée au début du IVe millénaire, là aussi en deux étapes, autour de certains mégalithes de la barre de stèles, conservant leurs gravures d’origine. Le “dolmen”, qui forme son armature originelle, est recouvert d’un cairn de pierres, restitué depuis 1938.
La suite monumentale de Locmariaquer n’a jamais été “découverte” : les habitants de la presqu’île semblent avoir toujours côtoyé ces témoins d’un temps ancien, qui ont alimenté les légendes locales et fourni, à l’époque gallo-romaine puis à la fin du XIXème siècle, une importante réserve de pierres.
Ce fut par exemple le cas lors de la construction d’un théâtre, à l’emplacement actuel du cimetière, aux premiers siècles de notre ère. Mais quel rapport avec les Portakars?
L’appellation « Grand Menhir », attribuée par les archéologues de la fin du XIXème siècle, s’est substituée au toponyme local Men er Hroeh (“Pierre de la fée”, ou plutôt « Pierre de la vieille femme », « de la sorcière »), signe de la présence du monument au sein des légendes régionales. Au XIXème siècle encore, le 1er mai, les jeunes filles du village venaient glisser “cul nu” sur la pente du fragment le plus gros, continuant à attribuer une mystérieuse puissance au monolithe. Nous ne possédons pas assez d’information sur ce rituel mais il est assez ressemblant à celui effectué à Portakar.
Cette stèle brisée se situe au bout d’une parcelle dénommée Park Er Groch (« Champ, parc de la Grotte »), rappelant le caveau de l’actuel tumulus dit Er Grah (« la Butte ») dans lequel on pouvait encore, avant sa restauration, se glisser pour une visite. Englobant une tombe à la dalle de couverture bien visible, celui-ci occupait tout un terrain, communément appelé Er Vinglé « la Carrière », allusion à l’exploitation ponctuelle du site par les habitants de Locmariaquer. (Les mégalithes de Locmariaquer ; Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, Paris, 2012, pp. 2-4)
Les omphalos-nombrils du monde ont été étudiés pour le monde méditerranéen par Jean Richer, mais il ne semble pas être allé jusqu’au Caucase. Cet article permet d’agrandir la photographie de nos connaissances.
Ils remontent à la période matriarcale du Néolithique (diffusion de l’agriculture) avec l’extension des peuples déné-caucasiens. Le rituel de fertilité a la même antiquité. On le retrouve dans tout l’espace méditerranéen et moyen-oriental. Par exemple, dans le Valois la Pierre Glissoire de Péroy-les-Gombries, la Pierre Chortière de Rouville, la Pierre Clouise entre Haramont et Largny-sur-Automne, dans le Soissonnais la Pierre de la Mariée à Bucy-le-Long.
Puis la période indo-européenne, à partir de -2000 environ (-1600 dans le Bassin Parisien), a collé de nouveaux noms aux lieux, comme Mihr/Mitra/le Mimir scandinave et Anahit/Anahita/Sarasvati. On est toujours dans cette période avec, en France, la dualité Liberté/bonnet phrygien et République/Marianne.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup!
Bonjour Jean-Marc,
et merci encore de faire partager vos connaissances.
Article fort intéressant… qui dit tout le drame des femmes stériles… à mettre en parallèle avec notre époque et ses solutions de fertilité… ou d’euthanasie des bébés… Quel saut dans le temps!
Bonjour Marie-Thérèse, on dit que ce sont les hommes désormais, qui sont moins fertiles avec la pollution. Qui sait, peut-être qu’au lieu d’arriver à 25 milliards d’habitants, nous allons baisser sans le vouloir.
Nous pouvons imaginer une sortie en juillet: Pierre Glissoire, Pierre Chortière, Pierre Clouise, Banc de la Mariée. Cela tient dans la journée, entre Crépy-en-Valois et Soissons. La Pierre Chortière et la Banc de la Mariée demandent un peu de marche et des chaussures tout terrain, mais non difficile
Bonsoir Jean-Marc,
oui l’idée est bonne.
Je te remercie de me tenir informée de la date, et j’essaierai d’y participer.
Bonne continuation,
C’est le dernier jour, alors je te souhaite une bonne année ainsi qu’aux tiens.
Meilleures salutations,
mt