"J'en ai vu passer des humains et des civilisations et je suis toujours là". Regarder le monde à l'ombre d'un mégalithe, ça change toute la vision.
Ce circuit dans le sud de l’Aisne est facile d’accès par l’autoroute A4, sortie 20. Rendez-vous à 10h place Aristide Briand, à Fère-en-Tardenois, devant les Halles médiévales. Il débute par deux des hauts lieux mythologiques les plus connus du nord de la France : la Hottée du diable à Coincy, puis le château hanté de Nesles. Le midi à l’Auberge de la Roue Fleurie, 8 Rue de la Fontaine Terrière, 02130 Coulonges-Cohan. L’après-midi: butte miraculeuse d’Arcy-Sainte-Restitue et sa table de pierre puis, face au gigantesque banc des Trois-Seigneurs à Tannières, difficile d’accès pour les personnes à mobilité réduite, Mont-Notre-Dame, l’antique Tarodunum, première capitale du Tardenois, lieu de deux conciles et de quantité d’événements. Nous retrouverons les thèmes du diable déguisé, du roi déguisé, des chemins de grimerie des Francs et de rassemblements de fêtes aux fontaines. A proximité, mais on ne peut pas tout voir en une journée: ruines du château de Fère-en-Tardenois, mégalithe du grès qui va boire, le 13ème maçon et les cadrans solaires de Braine. Le texte ci-dessous provient de deux brochures publiées aux Editions du Galtz il y a des années (une douzaine de brochures pdf accessibles gratuitement à partir de cette page. Nombreuses photos prises par l’auteur Jean-Marc Bélot à l’époque, ou bien provenant d’archives anciennes):
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Le Tardenois s’étendait de l’actuel autoroute A4 jusqu’au nord de Braine, à cheval sur les départements de l’Aisne et de la Marne. Sa capitale, Tarodunum, la colline fortifiée de Tara, est l’actuel Mont-Notre-Dame, que nous verrons en fin de journée.
La Hottée du Diable. Villeneuve-sur-Fère, Coincy, Bruyères-sur-Fère. A la limite entre Tardenois et Orxois, le Géant tumultueux fait sentir sa présence à la Hottée du Diable. Il s’agit d’un amas de grès très étendu, au sommet et sur tout le flanc d’une vaste butte sableuse, qui culmine à 163 m, nommée le Géant. Elle est presque en limite de Bruyères-sur-Fère, où le mont de Bruyères fait doublon juste au nord. L’Ourcq est réputé avoir laissé ces amas mégalithiques (L’Ourcq, sur le trajet du dieu tumultueux, p.15-20).
Les grès gravés de Tardenoisiens. Ils remontent au mésolithique (vers -7000/-5000), quand l’arrivée du Gulf Stream provoqua la fin de l’ère glaciaire. Les peuples du type des Lapons choisirent de suivre les rennes vers le nord. Sur place, des populations prospérèrent autour de sites de chasse, pêche, cueillette. Le symbole de la hutte apparaît avec eux. On les appelle les Tardenoisiens. Quand les grands agriculteurs Danubiens entrèrent à leur contact à partir de -4000, ils firent de ce petit peuple paisible des légendes de nains et de lutins. Ce fut la fin de l’art de la gravure. Les pierres ont un nom selon le lieu-dit, la légende, la forme. On trouve des gravures en sillons, en arêtes de poisson, beaucoup de formes en treillis (les huttes), parfois de l’ocre rouge. La Niche de la Garenne des Vignes montre un enfant, un homme, une femme avec une robe serrée à la taille, allongés, contemplant le plafond. Des symboles sont plus récents, comme la barque solaire à l’entrée de l’Abri de Chinchy (bronze final). Les francs ont laissé des traces à l’Abri du Guerrier Franc: la svastika, symbole des francs, accompagnée d’un dieu phallique lanceur de francisque et d’armes d’époque de la conquête de Clovis. Jacques Hinout livre plus de détails dans “ L’art rupestre des grottes et des abris des massifs gréseux du bassin parisien ” :
Fère-en-Tardenois. Le grès qui va boire. Le ru du Pont Brûlé se jette dans l’Ourcq sous le Grès qui va boire, près du lieu-dit la Fontaine sous Pierre. Il indique un gué. Son ombre projetée atteint la rivière par son bec. Dans le pays, on affirme qu’il fait un tour sur lui-même tous les cent ans. Les bonnes femmes y allaient en hiver en pélerinage, pour guérir des crevasses aux mains, mais elles taisaient le nom du saint invoqué. La justice s’y rendait et les contrats et transactions s’y signaient. Il n’est pas rare de trouver, sur d’anciens titres, la mention “Fait et passé sur le Grès qui va boire” (L’Ourcq, sur le trajet du dieu tumultueux, p.13-15).
La butte du château de Fère fut-elle au diable ou à Gargantua ? Le ru de la Pelle prend sa source dans la vallée où est actuellement le golf du château de Fère. Il se jette dans l’Ourcq au Parchet. Est-ce que son nom rappelle la pelle du diable de la Hottée du diable ? Ou le palet de Gargantua ? C’est en tout cas une belle butte isolée, sur laquelle s’est développée le château.
Fère-en-Tardenois. Reliques de sainte Macre. Sainte Macre, patronne de Fismes (51), Fère-en-Tardenois et Longueval (ct Braine), naît vers 286. Le préfet Rictiovare l’arrête et l’oblige à adorer la statue de Jupiter, ce qu’elle refuse. Après des supplices, elle est brûlée vive à Fismes, au confluent de l’Ardre et de la Vesle, au lieu-dit Lice, le 6 janvier 303. Au 6e siècle, un berger découvre ses ossements enterrés. Ils sont portés à l’église St-Martin de Fismes où ils guériront les malades, aveugles, sourds et boîteux. Sa fête à Fismes est le 2 mars, anniversaire de la découverte des reliques. A Fère, c’est le 7 janvier, lendemain de son martyre. L’église Ste-Macre de Fère obtiendra un os du bras comme relique, qui est dans une châsse au-dessus de l’autel latéral gauche.
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Seringes et Nesles. Blanche de Saarbrück, dame de Nesles-en-Tardenois. Au fond de la vallée marécageuse du ru du Pont-Brûlé, au donjon de Nesles (13e siècle), on croyait toujours entendre des gémissements. Blanche apparaîtrait de loin en loin, comme un fantôme sur les remparts. Son mari, Guillaume, y aurait fait disparaître des jeunes filles. Il aurait aussi détenu ses parents. Son père aurait été conduit en forêt de Pernant où il serait mort de faim, enchaîné, après avoir mangé ses souliers. Guillaume projetant de la tuer, elle et son fils bâtard, ce dernier coupa la gorge de son père. Elle s’en sortit vivante et continua à habiter son château au milieu des larmes (L’Ourcq, sur le trajet du dieu tumultueux, p.12)
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Arcy-Ste-Restitue, l’un des plus importants tumulus de France. Aux confins du Soissonnais, du Tardenois et de l’Orxois, se situe l’un des anciens lieux saints de la France. Un site majeur… et pourtant inconnu. La butte de cinq hectares sur laquelle est établie le cimetière est l’un des plus importants ossuaires trouvés avec 20 000 sépultures. Depuis le néolithique, les populations y sont restées fidèles. On a trouvé des traces de toutes les époques, jusqu’aux mérovingiens dans leurs tombeaux de pierre, la tête regardant l’Est, tradition encore respectée par les habitants. Une hypothèse explique cette concentration : un foyer mystique dont le rayonnement s’étendait sur toute la région. La civilisation de Seine-Oise-Marne (de –2500 à -2000 environ) a fait fleurir les allées couvertes dans le bassin parisien. Leur porte était une pierre percée d’un grand rond en son centre, dont le bouchon de pierre était ouvert une fois l’an. A côté de l’entrée, on trouve fréquemment la figuration de la déesse des morts. Parfois il s’agit juste de deux seins ronds et d’un collier. Dans la vision païenne, le monde des morts s’ouvrait deux fois par an au monde des vivants. Ces périodes redoutées étaient la 1ère quinzaine de novembre (fête des morts, Toussaint, St-Martin) et la 1ère quinzaine de mai. La célébration préchrétienne d’Arcy a pu ressembler à ceci. Début mai, tous les villages de la région se mettaient en route pour amener les corps ou ossements de leurs défunts de l’année (les tombeaux pour les plus riches), sur un espace consacré précédent l’actuelle église. Un grand rassemblement s’y faisait, survivance des campements bisannuels des peuples chasseurs. Chacun avait le temps d’arriver. A la date permise pour la mise sous tumulus, une procession suivant la côte amenait les corps. On les passait à travers un passage équivalent à une porte d’allée couverte. Pendant un court instant, les vivants pouvaient profiter du mana (énergie bienfaisante) de la divinité. Les mamans y passaient leurs enfants. La procession rejoignait alors l’emplacement du campement. Au moment de retourner à son village, chacun prenait un peu de l’eau de la fontaine, rendue bienfaisante par la proximité de la grande Dame.
La christianisation du pèlerinage. Ramenons-nous en 838. Lothaire a fort à faire avec l’accroissement du péril des pirates Sarrasins, pillant les côtes de Provence, et parfois y posant le pied. En 846, ils atteignent Rome, trop bien protégée, sauf la basilique St-Pierre qu’ils mettent à sac. Le pape Léon IV, qui a succédé à Serge II, mort en 846, peut faire édifier une muraille grâce aux fonds collectés par Lothaire dans toute l’Italie. En même temps, l’empereur d’Occident lève une armée de Francs, Burgondes et Provençaux, à la tête de laquelle il place son fils Louis, roi d’Italie, pour barrer la route aux Musulmans. C’est à cette expédition que le comte de Moreuil prit part. L’histoire qui en est restée est la suivante. Au 9ème siècle, le seigneur d’Arcy et de Moreuil (80) va secourir le pape. En remerciement, il obtient des reliques de sainte Restitue. A leur passage à Arcy, une fontaine bienfaisante jaillit. Un enfant recouvre la vie et demande le baptême. A l’heure du départ des reliques de la sainte table, l’enfant crie “ Art-ci, art-ci !” (arrête ici). La châsse devient si pesante que M. de Moreuil se résigne à la laisser. Cet événement donne naissance au pèlerinage. Sainte Restitue est invoquée pour la tête, la folie, l’épilepsie, la fièvre, la peste et les enfants. Et les pèlerines sollicitent sainte Restitue de leur « restituer » leurs charmes. L’anachronisme marquant est la sainte table, à la porte du cimetière (photo ci-contre). Elle n’a rien de néolithique. Rien ne ressemble moins à une allée couverte ou à un dolmen. Ses éléments sont médiévaux, à motifs des 12-13ème siècles. Ils n’ont pas été mis là par hasard, mais pour se substituer à une entrée voisine du tumulus, perdue aujourd’hui. Il n’empêche que le nouveau système a duré huit siècles, jusqu’à nos jours.
Le pèlerinage, actif jusque dans les années 1970. La châsse est sortie de sa chapelle et exposée au centre de l’église du 30 avril au dimanche 1er juin (au lundi de la Pentecôte lorsque cette fête tombe en juin). Le 1er mai, on célèbre l’arrivée des reliques et le 27 mai la fête de son martyre. La procession qui précède la messe porte la châsse à la table de pierre. Le clergé chante un De Profundis aux défunts d’hier et des civilisations oubliées. Dès que la châsse est enlevée, les mamans font rouler leurs enfants sur la pierre. Certaines personnes y roulèrent même leurs porcelets. Les grands se glissent sous la sainte table. Puis la procession se dirige vers la fontaine de sainte Restitue avant de revenir à l’église. Les pèlerins emportent son eau pour les malades. La photo au dos de la couverture montre un pèlerinage d’avant-guerre.
La vie de sainte Restitue (ou Restitute). Jeune fille née à Rome d’une famille patricienne, ses parents l’élèvent dans le culte romain. Elle se convertit au christianisme et convertit ses parents. Mais l’empereur Aurélien déclenche une persécution. Elle s’enfuit vers Sora, en Campanie, où elle continue à faire des conversions. Le proconsul Agathuis, qui la convoite, veut la forcer à revenir aux dieux de l’Empire. Elle finira par subir le martyre avec plusieurs compagnons et compagnes, le 27 mai 272 ou 275, selon les sources. Déshabillée, fouettée, puis conduite au fleuve, elle sera décapitée. Sa tête, jetée à l’eau, sera miraculeusement rejetée sur les bords, et les chrétiens pourront l’ajouter à ses reliques. Une basilique finira par être édifiée et son tombeau sera le siège de miracles.
Les objets de culte de l’église Ste-Restitue. L’église comprend encore toutes les bannières de procession et de nombreuses statues, tableaux et vitraux, déjà décrits dans les autre publications sur le pèlerinage ou sur le village. L’objet le plus important est le reliquaire, exposé aux fidèles pendant tout le mois de mai. Les quatre faces du reliquaire montrent les événements suivants:
Nord-Tardenois. Canton de Braine (voir plan brochure). Le Tardenois (en grisé) s’étendait jusqu’au nord de Braine, car son chef-lieu était l’actuel Mont-Notre-Dame. Les communes en blanc sont en Soissonnais. Villers-en-Prayères, Révillon et Glennes sont en Laonnois.
Jouaignes : Borne Trouée, chemin des Dames, chemin Jean de Paris. La Borne Trouée était dans les bois au sud de la commune. Large et plate, elle était percée au centre d’un trou surmonté de la représentation d’un chapeau. On y passait la tête pour se préserver des sorts. Elle a été détruite vers 1810. Ses débris servirent à combler des ornières (Leroy, Fleury). Fleury cite aussi la Pierre La Hourde. On voit des Boves dans la côte et, sur le plateau, un chemin des Dames. Il joint Mont-Notre-Dame (ancienne capitale du Tardenois) à Acy sur la crête qui domine la Vesle. Sur ce chemin vers l’autre monde, par temps de brume, semblent se mouvoir les fées en habits blancs. En regardant au nord, on voit l’autre Chemin des Dames plus connu, qui domine l’Ailette. Dontenville explique que souvent, dans les légendes, des dames en carrosse s’égarent ou périssent en des lieux Mairy, Méry (des mères ou matres), voie Marguerite (nom fréquent de sorcière). C’est le char de la lune personnifiée qui disparaît dans une mare ou derrière une crête. Ce chemin est une partie d’une voie nommée chemin Jean de Paris (Plavinet), que le tracé sinueux entre Soissons et Dormans (Binsonais) indique comme pré-romaine: Soissons, Fère, Villers-sur-Fère, Courmont, Dormans. Ensuite, par Orbais l’Abbaye et Montmort (51), il prend le nom de Chemin du Gault. Que d’indices d’un chemin de géant.
Lhuys, lieu de Lug. Le village fait l’objet d’un “ calembour sacré ” : saint Crapard y guérit des crampes (Bègue). En prenant possession des fontaines, les saints se sont vus attribuer les vertus des eaux. L’enracinement s’est effectué par leur passage, un épisode de leur vie, un trait de leur personnalité, parfois par une analogie phonétique, ici saint Crapard et crampes. Les saints en crap-, crep- (racine signifiant pierre) ou ayant le crapaud parmi leurs attributs ont partout succédé à des prêtres de la pierre (des druides). Lhuys était donc un lieu important. Mais de qui ? L’étymologie (Dauzat) donne : nom d’homme gaulois Lugius. Elle est frileuse, mais nous met sur la voie. Qui était donc le dieu des hauteurs ? Lug bien sûr ! Le village voisin de Bruys compte un lieu-dit Les Grosses Pierres, mais c’est à Tannières qu’est le site majeur.
Tannières: banc des Trois Seigneurs et dédicace à saint Roch (‘roc’). La Trinité celtique est rappelée par le banc des Trois Seigneurs ou chaise du père Beuzard (Bègue, Fleury). Un chemin qui part de Tannières conduit à ce banc de cinq à six mètres sur trois mètres de haut. Sur son devant, du côté du couchant, ont été creusés trois sièges. Celui du milieu figure un vaste fauteuil à oreillettes et bras de pierre. Au-dessus, un dais donne un aspect tout à fait imposant. En avant, des débris d’un grès immense indiquent peut-être un ancien menhir. A quelques pas, un gros bloc calcaire est perforé sur sa face de dessus par un trou carré, esquisse d’une borne trouée ou d’une porte d’allée couverte. D’autres roches, en avant et en arrière du banc, pourrait être des alignements. Ce lieu fait penser à un centre de culte ou d’initiation. A Tannières, la chapelle St-Roch a disparu. Il reste sa statue en bois peint dans l’église et la fontaine en contrebas de la route. Selon la tradition locale (Fleury), les trois seigneurs de Tannières, Jouaignes et Lhuys venaient, au retour de la chasse, discuter de leurs exploits, des aumônes ou de la justice. L’orientation est la même que celle du rocher au sud-est de la colline de l’Acropole, où siégeait l’aréopage d’Athènes et que la Lia Fail, siège de justice des rois d’Irlande.
Le Banc des Trois-Seigneurs dans les années 1870 (Edouard Fleury).
Le Banc des Trois-Seigneurs en 2001 (Jean-Marc Bélot) (sur une autre photo, nous sommes assis à trois pour montrer la grande taille, mais ils préfèrent ne pas être sur le Net)
Mont Notre Dame, l’antique Tarodunum, chef-lieu du Tardenois. C’est l’un des lieux les plus saisissants de l’Aisne. Cette petite butte escarpée, surmontée d’une grande église au clocher élancé, se voit de loin venant de Braine ou de Fismes. Sa montée fait battre le cœur. On sent tout de suite que ce lieu a été important. L’ancien chef-lieu du Tardenois a transmis son nom au pagus à temps, avant de céder le sien à Notre-Dame, qui succède ici à la déesse (T)arduina. Les folkloristes du 19ème siècle l’ont apparentée à la Diane chasseresse romaine, à laquelle sont rattachées toute une série de traditions, en particulier l’origine du nom des Ardennes, forêt de la déesse Arduina. Ce folklore est pertinent et on en trouve la trace de la forêt d’Ardenne originelle, en Gironde, sur tout le long chemin de St-Jacques jusqu’à Stavelot, en Ardenne belge. Le toponyme et les légendes auraient été transportés à la suite de saint Remâcle, fondateur vers 650 l’abbaye de Stavelot-Malmédy, et saint Hubert, mort prince-évêque de Liège. A St-Agnan (nom significatif de géant), près de Brouage, est la tombe des Quatre fils Aymon. Les seigneurs de la Roche-Aymon près d’Evaux (23) disaient descendre des quatre fils. Dans l’Aisne, on les trouve, ainsi que leur Cheval Bayard, près de ce trajet (Fleury, Villers-Cotterêts, Ciry-Salsogne, Courcelles-sur-Vesle et d’autres lieux jusqu’à Hirson). On reconnaît Arduina à Ardron (entre Chigny et Englancourt, ct La Capelle), Les Ardwines (Vauxaillon, ct d’Anizy), Ardun (Chavignon, ct Vailly), Les Aridons (Cuffies, ct Soissons), peut-être le mont Dion (Villemontoire, ct Oulchy) et Hartennes (ct Oulchy), où le 19ème siècle voyait un autel à la Vierge qui devait enfanter. Arduina se mélange ici à Artémis, la déesse à l’ours, à laquelle Hartennes fait plutôt penser. L’Ardon est un ruisseau qui naît dans le bois du Sauvoir à Laon et traverse Chivy, Etouvelles, Laval, Vaucelles-et-Beffecourt, Urcel et Royaucourt-et-Chailvet pour se jeter dans l’Ailette. Nous pouvons en dire un peu plus: elle est le personnage-lien entre les pôles ciel et terre. Elle nous renvoie, plus loin que les celtes, aux peuples néolithiques dont la religion était tournée vers la déesse-mère, connue dans toute l’Europe sous le nom de Dame aux épis. Dans les campagnes, la dernière gerbe reçoit le nom de mère du blé. On en fait un mannequin de reine des moissons, avec couronne et écharpe. On voit des statues de Vierge ornées à la fin de l’été de la dernière gerbe, comme au portail de Marle.
La colline fortifiée de Tara. Le nom (T)arduina est une construction tardive, lié au voyage du toponyme Ardenne. Si l’on décompose Tarodunum, c’est plus vraisemblablement la colline fortifiée de Tara. L’analogie de Tarodunum avec le nom ancien du Thérain, Tara, la tonnante, la rivière tumultueuse qui arrose Beauvais, fait penser que la déesse-mère a pu s’appeler tout simplement Tara, la Grande Déesse Rivière, représentée sur les monnaies bellovaques. Sur les Bornes Trouées, pierres servant de portes aux allées couvertes et où passer la tête au travers signifiait voir l’au-delà, des Grandes Déesses des Morts sont souvent symbolisées. Cela montre que l’ancrage mythologique remonte au moins au dernier néolithique (-2400 à –1700). A l’arrivée des indoeuropéens, elle est devenue la patronne mythique du pays, aux trois fonctions: productrice (mère au maximum), religieuse (règne sur les pensées pieuses) et guerrière (détruit ceux qui méprisent les dieux). Dans les légendes de têtes coupées, elle est conservatrice des têtes sacrées. La Vierge a été revêtue par la tradition de ces attributs préchrétiens. Cela ne remet pas en cause le personnage. Cela signifie simplement que le bon sens populaire a réussi à conserver le meilleur de toutes les traditions, incorporant dans le christianisme les croyances néolithiques et indoeuropéennes. Une tradition vivace, qui se retrouve en Picardie, est celle des Trois Mères. Ce n’est pas le père Noël, création récente, qui descend la nuit de Noël dans les maisons, mais les Trois Mères. Les gens avisés mettent sur la table nourritures et boissons, en prenant bien garde de les laisser découvertes. Leur visite est un gage de prospérité. Mais gare à celui qui a laissé les couvercles !
Mont-St-Martin. Les buttes jumelles. Peu fréquentes, étaient reconnues par les anciens comme les seins de la déesse-mère, lieu doublement saint. Parfois, il a été donné une polarité féminine à l’une et masculine à l’autre, comme ici à Mont-Notre-Dame et Mont-St-Martin.
Bazoches et les saints Rufin et Valère. Ce marché sur la Vesle et sur la route Reims-Soissons, aux pieds de Mont-Notre-Dame, est l’autre site important de la région par le culte des saints Rufin et Valère. Leur fête, le 14 juin, donnait lieu à un pèlerinage à la fontaine avec leur châsse, peut-être le souvenir d’une initiation perdue. Ces saints martyrs peu connus sont aussi honorés à Wallée (commune d’Oulchy-le-Château).
Chemins de grimerie des Francs (Arcy, Rocourt et l’abri du guerrier franc ; lutins qui grimacent) (p.105 des Dieux oubliés des Vosges).
Nous avons sur le trajet deux grands chemins de grimerie:
Grimerie peut venir du francique *grima, « masque, spectre ». Grimnir était un des surnoms de Wotan. Le Grimlinsweg en Alsace était parcouru par les confréries de guerriers grimés, sous la présidence justement de Wotan (Trendel, Les dieux oubliés des Vosges, pp.105-106). Cf sur l’atlas mythologique de l’Aisne:
A noter près du Chemin de sainte Geneviève
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