Université des Mégalithes

"J'en ai vu passer des humains et des civilisations et je suis toujours là". Regarder le monde à l'ombre d'un mégalithe, ça change toute la vision.

Japon: les carpes de Shimae

La déesse de la compassion Kannon debout sur une carpe géante (estampe de Katsushika Hokusai, BnF, Estampes, Rés. Dd 662, vol. 13, fol. 16vo-17ro)

Le livre de Didier Decoin « Le bureau des jardins et des étangs » (Paris : Stock, 2017) cite de nombreuses traditions émaillant un périple à travers le Japon du XIIe siècle. Mais voilà, ça se complique dès qu’on veut localiser les faits. Semblant partir des provinces de Niigata et Nagano dans les terres du nord, l’héroïne se rend à Kyoto, à l’ouest des barrières. Sauf que la plupart des lieux saints décrits réfère plutôt à l’est et au centre. De quoi perdre… son japonais. Enfin, voici les essais de localisation:

  • Au XIIe siècle, à l’époque Heian, Miyuki est la jeune veuve de Kasturo, le meilleur pêcheur de carpes de la rivière Kusagawa (ce pourraît être la Kiso, qui prend sa source au mont Hachimori 36.08817,137.75389). La qualité de ses carpes est jalousée par les riverains de l’étang de Yumiike (36.63678,138.53253, JP-10 Gunma), de la rivière Sumida (Sumida-gawa, 35.72979,139.74720, JP-13 Tokyo) ou du fleuve Shinano (Shinano-gawa, JP-15 Niigata et source dans JP-20 Nagano) et les pêcheurs de Koguriyama (sur la Shinano, JP-15 Niigata), d’Asakusa ou de Niigata (p.45).
  • Elle le remplace pour les apporter de son village de Shimae (http://maps.google.com/maps?q=35.93689,137.78320 Kiso village, JP-20 Nagano), en passant par les provinces de Totomi et de Mikawa (p.39), jusqu’à Heiankyo (capitale tranquille et paisible), capitale entre 794 et 1868, abritant le Kyōto-gosho (palais impérial). http://maps.google.com/maps?q=35.02576,135.76219
  • A Heiankyo, sur la chaussée de l’Oiseau-Rouge, le directeur des jardins et des étangs, Watanabe, voit passer une lente procession de femmes allant rendre hommage à Ebisu, le dieu-poisson, velu, barbare et jubilatoire (p.51). Le sanctuaire Kyoto Ebisu-jinja le fête le 10 janvier. L’un des 7 dieux japonais, représentant le bonheur, troisième fils d’Izanagi et d’Izanami, il serait l’ancêtre des japonais. Dur d’oreille, ses fidèles doivent, avant de prier, faire grand bruit. Ses temples dans tout le Japon abritent les kami Ebisu. http://maps.google.com/maps?q=34.99988,135.77173
  • Elle prend garde à ne pas mettre son pied dans le terrier d’un tanuki, mammifère rsppelant le raton-laveur, le chien et l’ourson, facétieux et pouvant se métamorphoser et grand amateur de saké. L’un des yōkai de la forêt (p.78).
  • Des moines en chemin du pèlerinage d’Enoshima lui proposèrent de les accompagner pour rejoindre le fleuve Katasegawa. Mais ils la retarderaient, s’arrêtant à chaque hokora, sanctuaire miniature dédié à un kami, au bord du chemin, 800 000 dieux régnant sur le Japon (Enoshima est une île à l’embouchure du fleuve Katase ou Sakai-gawa, hissée des flots par la déesse Benten pour dénicher le dragon dévoreur d’enfants et qui ravageait la région. Elle le rendit docile en lui promettant le mariage) (p.94-95). http://maps.google.com/maps?q=35.30027,139.47971 L’auteur a pu confondre avec l’autre Sakai-gawa qui se situe entre les provinces de Niigata et de Toyama, qui serait plus conforme à la géographie du trajet. http://maps.google.com/maps?q=36.97958,137.63512. Mais, tout simplement, le périple ne suit pas la logique géographique et parcourt des lieux saints du Japon.
  • Le jeu de la princesse : la princesse Kaguya, une habitante de la lune, avait été envoyée par son père sur la terre pour la mettre à l’abri d’une guerre qui faisait rage dans le ciel. Elle se cacha dans le cœur d’un bambou. Elle avait la grosseur d’un petit doigt. Un vieux paysan le coupa et la recueillit. Après avoir fait le bonheur du paysan et de sa femme, elle regagna la lune, retour que symbolisent les insectes nageant par saccades sur l’eau vers le reflet de la pleine lune (p.103, d’après Taketori no monogatari, conte anonyme du IXe siècle).
  • Le sentier traversait les forêts de cèdres et de bamboux de la chaîne des Kii http://maps.google.com/maps?q=34.27346,135.88157 (mont Shakka 34.11621,135.90238, mont Odaigahara 34.18724,136.10734, Sanjo 34.25381,135.93980). En cas de brouillard, Miyuki se concentrait sur l’odeur de soufre des sources chaudes et les cris des macaques qui se réchauffaient en s’immergeant dans les bassins où fumaient les eaux thermales. Les chemins des Kii étaient encombrés de pèlerins qui allaient aux sanctuaires sacrés de Kumano (p.105-106). http://maps.google.com/maps?q=33.842546,135.773681
  • Le temple devant lequel se trouva Miyuki était dédié au bouddha Fudo Myoo dit l’Immuable, l’Inébranlable que rien ne pouvait émouvoir, protecteur au visage courroucé entouré d’une aura de feu. Sa canine droite était dirigée vers le ciel comme une invitation à s’élever, la gauche pointant vers le bas pour stigmatiser les maux nés des illusions. L’un des 5 Myoo (rois du savoir), il représente la transmutation de la colère, le Shiva japonais. Il était réputé guider les âmes des défunts et présider, au bénéfice de leur éternité, une cérémonie 7 jours après la mort. Elle sentit alors une odeur fraîche et sombre, un composé de pinède, de menthe poivrée et de racine d’iris, se dégageant d’une cavité remplie de feuilles d’un vieux sugi (cryptomeria japonica) (p.116-118).
  • Des compagnons de route ayant mangé 6 de ses 8 carpes, un moine lui conseilla de suivre le flanc de la montagne et de marcher vers le nord jusqu’au fleuve Yodogawa (source au lac Biwa et arrose Osaka), aux eaux poissonneuses. Sans rivaliser avec les siennes, elles pourraient faire illusion (p.141).
  • Il fallait compter avec le kappa, créature aquatique de petite taille, au corps couvert d’écailles verdâtres, sorte de bafouillage entre le singe et la grenouille. Il pouvait s’extraire des fleuves et des étangs pour évoluer sur la terre grâce à une cavité remplie d’eau ménagée au sommet de son crâne. Nul n’était à l’abri de ses cruautés, enfonçant ses mains griffues et palmées dans l’anus de ses victimes afin de remonter à leur foie qu’il arrachait pour s’en régaler. Il était aussi gourmand d’enfants qu’il consommait après les avoir noyés. Mais ce qu’il préférait était le concombre. C’est pourquoi, même si on n’y croyait pas, on ne longeait jamais une rivière sans s’etre muni de beaux concombres (p.146-148).
  • Elle venait de tout à fait à l’ouest de l’île de Honshu, près de la ceinture des petits volcans d’Abu, dans la région de San’in, face à la mer du Japon (p.155). http://maps.google.com/maps?q=34.70124,131.99157
  • L’odeur sauvage de forêt, d’herbes froissées, de terre détrempée, de tanière, de Miyuki laisse certains à penser qu’elle pourrait être un de ces kiyubi no kitsune, ces renards capables de prendre une apparence humaine, et de préférence celle d’une femme jeune et séduisante (p.192).
  • Durant la nuit du Singe, il est recommandé de ne pas céder au sommeil. Cette nuit-là, des vers s’introduisent dans le corps des personnes assoupies afin de leur dérober leurs secrets les plus inavouables (p.212).
  • On pouvait se purifier par la cascade d’eau glacée qui dévalait à travers la forêt de cèdres du mont Atago (p.245).
  • Sa mission accomplie, de retour dans sa région, Miyuki vit, extraite des eaux ténébreuses de la Kusagawa jusqu’à une souille de vase par le séisme, une carpe géante. Longue de plus d’1,5m pour une centaine de kg, ses yeux proéminants étaient capables de regarder dans des directions opposées. C’était dans ces parages que son mari Katsuro s’était noyé. La grande carpe noire ne pouvait-elle être son fantôme. L’un des yeux du poisson resta obstinément attaché à elle. Elle voulut faire tout ce qu’elle pouvait pour rendre la carpe à sa rivière, quand quelque chose gronda et se rapprocha. La crevasse courant sur le sol vint vers eux, ouvrant une faille profonde (p.379-382).

La fête des carpes est populaire au Japon début mai (att-japan.net)

À propos de Jean-Marc Bélot

Eclairer le présent, montrer que le meilleur est possible: devenirs des sociétés humaines, lieux merveilleux qui nous entourent.

Un commentaire sur “Japon: les carpes de Shimae

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Cette entrée a été publiée le 28 janvier 2018 par dans @ Astres cosmogonie déités, @ Bêtes animaux, Japon.

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